Le temps d'un autre regard
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Toujours plus haut

Coups de coeur
17/11/2017
Nota: Il s'agit là d'un "copier-coller" de l'intégralité du point de vue de Marc Humbert paru dans l'édition du 17/11/2017 de Ouest-France.

Marc Humbert, professeur émérite d’économie politique à l’université de Rennes 1, livre une analyse de cette course à l’escalade, pour se trouver en haut de l’échelle sociale, avec ses gagnants et ses perdants.

La métaphore montagnarde* amène à inciter tout un chacun à faire les efforts nécessaires pour grimper dans l’échelle sociale, sans attendre un ascenseur. Il conviendrait, dans le même esprit, de ne pas jalouser ceux qui réussissent, qui grimpent « en tête ». Ce sont des premiers de cordée !

Ne jalousons pas ceux qu’on appelait dans le passé les self-made-men, les Henry Ford, Jean Pierpont Morgan, Samuel Walton (Wall Mart) ou plus récemment Steve Jobs (Apple), Bill Gates devenu grand philanthrope, et toujours en course, Larry Page et Sergey Brin (Google), Jeff Bezos (Amazon), Mark Zuckerberg (Facebook).

Ils sont nombreux outre-Atlantique et vraiment hauts mais il y a aussi des Français dans la course, pas toujours très loin. Il y avait entre autres Maurice de Wendel (acier), Louis Renault, Louis Vuitton, Marcel Dassault, Martin Bouygues et nous avons maintenant Patrick Drahi, Xavier Niel, Bernard Arnault, François-Henri Pinault. Notons qu’il faudrait beaucoup chercher pour trouver à citer des dames.

On grimpe la montagne à coup de piolet, ils ont grimpé l’échelle économique et sociale en vaillants compétiteurs, en s’appuyant sur beaucoup d’autres, rarement en les aidant à les suivre. Leurs fortunes ont été bâties grâce à de nombreuses contributions. Ils ont bénéficié des infrastructures publiques, rémunéré des travailleurs, payé des fournisseurs et ont su faire payer des clients.
Des lieux de lutte sans fin

Comment, au total, Google, par exemple, a-t-il réalisé en 2016 un bénéfice de vingt milliards de dollars et enrichi ses dirigeants actionnaires ? Bien sûr, grâce à leur talent ! Mais ce talent est entre autres celui de ne pas trop partager le fruit de leur savoir-faire, ni avec les États, ni avec leurs employés, ni avec leurs fournisseurs, ni avec leurs clients.

Ceci vaut pour tous. En outre, Google, comme les autres, sait échapper en partie aux règles de droit érigées pour tous par les États, celles du droit fiscal et du droit social, sans parler des règles de la morale humaine.

Sur la montagne, il y a ceux qui sont en tête, mais aussi ceux qui dévissent, ceux qui peinent. Ceux qui ne coulent pas grâce à d’autres qui leur tiennent la tête hors de l’eau, avec des emplois aidés, par exemple.

Ceux qui veulent de vraies réformes qui permettent effectivement à toutes et à tous de devenir quelqu’un et de vivre dignement. Pas de grimper l’Everest.

Mais la logique à l’œuvre est de grimper toujours plus haut, pas d’arriver à un sommet et d’aider les autres à le rejoindre pour partager le plaisir d’y être et de contempler un paysage magnifique

Non. La hiérarchie sociale, tout comme la hiérarchie des nations, sont des lieux de lutte sans fin : il n’y a pas de sommet où atteindre la plénitude. La bataille incessante fait des perdants à qui l’on veut faire porter toute la responsabilité de leur échec.

À l’échelle des nations, voilà presque soixante-dix ans que l’ONU lutte pour le développement. L’objectif auto-assigné par les pays riches de consacrer 1 % de leur PIB à l’aide n’a jamais été observé, on en est encore à bien moins d’un demi %. Et si nous savons aller sur la Lune et observer des ondes gravitationnelles, il reste plus d’un milliard d’êtres humains à qui nous ne pouvons pas assurer de quoi survivre dignement.

La première réforme dont nous avons besoin n’est pas de libérer, en particulier les premiers, des cordes qui relient aux autres. Mais d’appliquer les règles existantes, et puis, pour mieux protéger les autres, d’améliorer ces règles.



*: Dans son interview télévisée du 15 octobre 2017, le président de la République Emmanuel Macron semble avoir désigné les riches épargnants capitalistes comme les premiers de cordée de la croissance.
«Je crois à la cordée, il y a des hommes et des femmes qui réussissent parce qu'ils ont des talents, je veux qu'on les célèbre. [...] Si l'on commence à jeter des cailloux sur les premiers de cordée, c'est toute le cordée qui dégringole»
(Emmanuel Macron _ 15/10/2017)

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